HARRY   POTTER 

 ET   LA   CLEF  DE   LA  PAIX

 

CHAPITRE 53 : LA LEGENDE DES CLORDES

 

 

 

Chapitre cinquante-huit

Pourquoi le chevalier Théodore part à la recherche des Clordes

 

Alors que je poursuivais mon voyage en Ecosse, la plus intéressante de mes aventures se présentait à moi.             Je parcourais les bois sur Folipante, pour emprunter un raccourci que mon expérience me suggérait de prendre.

Et c’est alors, que je l’avais trouvée, sanglotant doucement, âgée d’une vingtaine d’années tout au plus.

-          Puis-je savoir ce qui vous met en ce trouble ? demandai-je.

-          C’est l’Inquisiteur de l’Ordre des Montagneux ! Il a ordonné que l’on sacrifiât Eléonore, ma dernière fille.

Elle montra l’une des ses filles qui jouait en toute innocence à la rivière avec ses deux sœurs plus grandes.

-          Il veut calmer les Clordes, oh, aidez-moi, s’il vous plaît.

-          Malheureusement, je crains que ce ne soit qu’un piège, dis-je. Les Clordes n’existent pas.

-          Mais oui, je vous en supplie, elles existent, me répondit la demoiselle, en sanglotant. Si tout cela n’était pas vrai, l’Inquisiteur n’aurait pas tant insisté, c’est un homme bon, il agit pour notre bien ! Mais je suis sûr que vous pouvez faire quelque chose, Monsieur le Chevalier, et je ne veux pas contrarier l’Inquisiteur. Je le regrette maintenant, mais j’ai tenté de fuir lorsqu’il m’a annoncé cette triste nouvelle, et il a ordonné à sa cavalerie de me retrouver, il a dit qu’il me pendrait si je ne collaborais pas. Mais c’est un homme bon, il a peur que les Clordes ne se révoltent… mais pourquoi Eléonore ? Oh s’il vous plaît !

-          Je vais bien sûr faire tout ce que je peux pour vous porter secours, la noble tâche qui m’a été confiée est ma seule loi.

-          Que comptez-vous faire ? demanda la jeune fille, avec une flamme d’espoir dans ses yeux.

-          Nous allons d’abord faire ce qu’il demande et je vais me cacher pour les suivre et trouver où se cachent ces Clordes, et vous avez ma parole que ces satanées créatures recevront la rouste qu’elles méritent !

-          Mais monsieur le Chevalier, vous ne connaissez pas leur pouvoir, il ne faut pas les sous-estimer… dit-elle l’air terrifié.

-          Je ne les sous-estime pas, mais ce sont elles qui ne doivent pas me sous-estimer, je suis Théodore l’Ame Perdue !

La jeune femme resta bouche bée, ce qui était prévisible, mais j’avais décidé de garder cet argument pour maintenant, afin d’être certain qu’elle disait la vérité, n’étant pas encore soumise à l’élan de joie que provoquerait ma rencontre.

-          Théodore l’Ame Perdue ! Je suis sauvée !

-          Bien sûr, vous avez certainement déjà dû entendre parler de mes exploits.

-          Oh oui, tout le monde en parle, ici, mais comment avez-vous vaincu le Chevalier de l’Ombre ?

-          J’ai rassemblé mon courage, convaincu que le bien l’emporterait.

-          Mais vous n’avez pas eu peur de ce que l’on raconte sur lui ?

-          Non, je n’ai pas eu peur, je n’ai jamais peur, car je pense d’abord à libérer les opprimés, je n’ai pas le choix, je dois satisfaire à la mission qui m’incombe.

-          Promettez-moi que vous sauverez Eléonore.

-          Je vous le promets.

 

De toute évidence, cette paysanne n’était qu’une Boudonne et elle ne pouvait pas savoir que c’était ma baguette magique qui m’avait permis de vaincre ce Chevalier ridicule, à la si mauvaise réputation.

Cependant, le fait qu’elle était Boudonne m’intriguait. La légende que tout le monde connaissait postulait que seuls des sorciers pouvaient être sacrifiés.

J’y avais réfléchi, et plusieurs explications me semblaient possibles.

Il était possible que la jeune Eléonore fût une sorcière, bien que personne ne l’eût su du fait de son jeune âge. Mais rien pour l’instant ne m’aurait permis de confirmer cette hypothèse.

J’avais aussi pensé que tout n’était qu’un plan de l’Inquisiteur qui voulait tromper les Clordes, malgré les légendes qui couraient sur leurs pouvoirs. Cela aurait été idiot de sa part, mais l’improbable bénéfice aurait été grand pour lui, puisqu’il lui aurait suffi de sacrifier des Boudons au lieu de sacrifier des sorciers.

Mais cela ne reflétait que sa lâcheté, et j’étais bien décidé à le lui faire regretter, une fois que je me serais débarrassé de ces Clordes.

L’Inquisiteur de l’Ordre des Montagneux était en fait un puissant sorcier qui commandait la province des montagnes d’Ecosse, sous les ordres du Ministre de la Magie.

Il était aussi bien connu des sorciers que des Boudons et était très respecté du fait de l’importance de ses pouvoirs, qu’il faisait respecter par sa cavalerie, et tous les sorciers savaient qu’il n’aimait pas les Boudons.

Ainsi, ma seconde hypothèse ne me paraissait pas illogique, et je décidai de défendre cette paysanne, au nom de ma profession qui ne me commandait pas de ne servir que les sorciers.

J’étais en effet convaincu que les sorciers ne pouvaient pas laisser leurs problèmes aux Boudons, et ce n’était d’ailleurs pas la première fois que je venais en aide à des Boudons opprimés, comme vous l’avez vu à maintes reprises dans le début de mes aventures. Mais peu de sorciers pensaient ainsi, et beaucoup se croyaient supérieurs.

L’Inquisiteur avait ordonné qu’Eléonore fût emmenée le lendemain dès l’aube de cette rencontre, et avait annoncé qu’elle serait sacrifiée le surlendemain, jour de la pleine Lune. Ainsi, j’arrivais juste à temps pour la sauver.

Je passais donc la nuit avec cette paysanne qui me conduisait chez elle, non loin de cette forêt.

Elle était prénommée Cunégonde et son mari n’était jamais revenu d’une excursion en forêt.

Elle vivait donc avec difficultés, mais élevant avec amours ses trois filles, leur donnant une éducation respectable.

Malgré ma promesse qu’Eléonore serait sauvée, Cunégonde ne pouvait s’empêcher d’être nerveuse, elle ne cessait de marmonner toute seule, elle ne pouvait pas rester assise sans se relever immédiatement et faire les cent pas.

Je la consolais tout en m’occupant des trois filles qui jouaient près de la cheminée.

Et durant la nuit, je savais qu’elle n’avait pas dormi, je l’avais vue regarder par la fenêtre, elle semblait contempler la Lune qui était presque un disque parfait.

Finalement, le matin, je l’avais retrouvée endormie sur une chaise, dans la pièce principale de sa demeure.

Rien ne pouvait l’empêcher de paniquer, le soleil s’était déjà levé et l’Inquisiteur n’était toujours pas venu. Cette attente était insupportable pour elle et pour les filles qui ne comprenaient pas l’objet de cette agitation.

Il avait été décidé qu’Eléonore ne serait informée qu’au dernier moment, et que Cunégonde l’accompagnerait jusqu’au bout du voyage.

Ainsi, je m’étais caché dans le bois, restant à bonne distance de la maison, mais ayant une vue parfaite sur les alentours.

Finalement, le bruit de chevaux qui approchaient au galop se fit entendre, de plus en plus proche, et une charrette tirée par deux chevaux, dont l’intérieur était masqué par des rideaux arriva, accompagnée de deux cavaliers armés.

Cunégonde sortit, avec tout juste quelques bagages, et ses trois filles qui étaient apeurées par l’arrivée impressionnante de l’Inquisiteur.

D’où j’étais, je ne pouvais pas entendre ce qu’il se disait, mais il était clair, que malgré ce que cet homme ordonnait à Cunégonde, celle-ci était en admiration devant lui.

Finalement, le départ se fit, et je les suivis de loin, prenant soin de ne pas me faire voir car ils m’auraient fait pendre s’ils apprenaient mes plans.

Avant cela, je croyais que les Clordes n’étaient véritablement qu’une légende inventée et déformée avec le temps. Mais je me suis rendu compte que cette histoire n’était pas une plaisanterie, et j’essayais de me remémorer ce que je savais d’elles.

Il était difficile de savoir à quoi s’en tenir, toutes les versions de ces légendes étaient différentes, mais il y avait cependant quelques points communs en accord avec ce que j’avais appris dans cette histoire : les sorciers devaient livrer des leurs à chaque pleine Lune pour que les Clordes, une communauté de créature magiques dotées d’intelligence, vivant dans un endroit secret, restent en paix avec la communauté magique.

Les principales variantes de ces légendes concernaient l’aspect des Clordes, la localisation de leur communauté et la nature de leurs pouvoirs.

De nombreux sorciers affirmaient connaître cet emplacement, mais force était de constater que les recherches montraient que tout cela n’était que faux. C’était en réalité ce qui posait le plus de problèmes à cette légende, à laquelle une grande partie des sorciers ne croyaient pas.

Mais elle avait cependant pris une ampleur telle qu’elle s’était répandue chez les Boudons, sous forme de versions plus ou moins déformées.

En fait, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre quant aux pouvoirs de ces Clordes, mais mon courage et ma bravoure me rendraient vainqueur de cet affrontement.

 

Le voyage fut très long et ils franchirent plusieurs montagnes, traversant des forêts, enjambant des cours d’eaux, passant à travers champs…

Mais finalement, ils s’enfoncèrent au plus profond d’une sombre forêt.

Dans la soirée, la protection de la caravane avait été assurée par une dizaine de cavaliers supplémentaires, qui étaient là pour assurer une protection efficace contre des Centaures qui vivaient en cette forêt, et qui avait pris un air menaçant en les regardant passer.

En ce qui me concernait, je devais faire très attention de les éviter en empruntant un chemin parallèle et en utilisant plusieurs enchantements pour me cacher.

Mais j’arrivais à suivre la caravane sans me faire voir.

Ils continuèrent leur chemin pendant toute la nuit, puis durant la matinée du lendemain, traversant la forêt qui était de plus en plus épaisse, et qui laissait l’impression d’être sans cesse observé par des milliers d’yeux invisibles.

Il y avait sans cesse des bruits, des créatures qui les attaquaient. Mais toujours la cavalerie, qui était en fait composée de sorciers, les repoussait, à l’abri du regard de Cunégonde qui était à l’intérieur de la charrette, en compagnie de ses filles et de l’Inquisiteur.

Enfin, ils arrivèrent dans une zone beaucoup plus dégagée, où un grand nombre d’arbres étaient morts. L’endroit semblait invivable, comme si toute forme de vie avait disparue, il n’y avait plus cette sensation d’être observé, mais au contraire, on se sentait aspiré par une force maléfique, surpuissante.

Il semblait même que l’air qu’ils respiraient n’était que du vide, que les sons qu’ils entendaient étaient lointains.

Au loin, se dressait une arche en pierres dont ils s’approchaient lentement, comme s’ils allaient passer en dessous.

Je les suivais toujours, et je vis qu’ils y étaient passés, mais ils avaient soudain disparu et je m’étais hâté de les rattraper.

En réalité, il y avait un immense gouffre, qui faisait quasiment une dizaine de vallons de Quidditch. Il était empli de sortes de vapeurs pâles, dans lesquelles la lumière se perdait.

C’était de ce gouffre que la force que l’on ressentait provenait, je me sentais de plus en plus mal en y approchant, mais je me disais que ce n’était rien au vu de l’importance de ma mission.

L’arche était en fait une sorte d’entrée de ce gouffre, derrière elle, un chemin descendait pour aller se perdre dans le gouffre.

J’y passais, me préparant à parer toute attaque.

Au début, c’était une sorte de descente creusée dans le sol, mais elle descendait toujours, si bien que l’on ne voyait plus le ciel à cause de l’ombre et des vapeurs.

Je me sentais mal, mais celui qui souffrait le plus était Folipante. Mon pauvre cheval qui m’avait accompagné moi tout au long de mes aventures ne pouvait plus continuer, et il s’était effondré dans un dernier effort pour me servir.

Je ne pouvais malheureusement pas le laisser là, pour ne pas révéler ma présence, et le fait de devoir le faire disparaître, sans qu’il ait les obsèques qu’il méritait, me déchirait le cœur. Mais ma mission prenait le dessus.

Je continuais donc à pied, n’apercevant plus la charrette de l’Inquisiteur, je savais que Cunégonde devait être très inquiète, nous n’avions plus communiqué depuis notre départ, et elle devait s’imaginer toutes sortes de choses pour l’avenir.

Mais elle pouvait compter sur moi, et j’accélérai le pas pour me rapprocher d’elle, voulant me montrer à elle discrètement, afin de lui rappeler mon engagement.

J’arrivai donc au plus profond du gouffre, et je me rendais invisible par divers enchantements, en approchant d’un grand portail noir, dont les portes étaient ouvertes, et qui était gardé par deux masses sombres, entre lesquelles je devais passer.

Je m’imaginai tout de suite que c’était deux Clordes, elles semblaient très grandes, maléfiques, et j’essayais de percer la brume pour en distinguer les détails.

J’étais surexcité à l’idée de les voir enfin et je savais maintenant qu’elles existaient, et qu’elles se trouvaient au plus profond des montagnes d’Ecosse.

Je pouvais maintenant les distinguer, elles mesuraient presque trois mètres de haut, et étaient terrifiantes à voir, leur tête était arrondie, telle celle d’une pieuvre, mais de nombreuses veines en sortaient et y rentraient en faisant des boucles, remuant au rythme de leurs battements cardiaques. Leur peau semblait en décomposition, et des morceaux énormes s’en détachaient, prêts à tomber au sol. Leur peau était flasque et lorsqu’elles remuaient la tête, celle-ci se déformait en s’aplatissant et en rebondissant. Leur peau était presque transparente, et on y voyait au travers les organes internes, qui semblaient très particuliers.

J’étais dégoûté en les voyant, et je retenais une exclamation d’horreur lorsque je sentais leur odeur, un mélange de pourriture et de cadavre en décomposition.

Je les regardais encore cependant, leurs yeux étaient tout aussi bizarres, tels des gros œufs déformés, d’une couleur jaune pâle, et elles n’avaient ni oreilles ni nez.

Le plus particulier était en fait la forme du reste du corps, celui-ci semblait bien réel pour toute sa partie haute, mais on aurait dit qu’il n’était plus qu’un hologramme sur sa partie basse. On distinguait en fait une grosse masse cachée sous des lambeaux de tissu sale.

Les Clordes n’avaient pas de bras ni de jambes et flottaient à quelques centimètres au-dessus du sol.

J’étais tout près d’elles, et je crus un instant qu’elles pourraient me repérer même sans me voir, mais je réussissais à passer quand même, sans qu’elles n’aient bougé.

Une fois de l’autre côté du portail, on y voyait beaucoup plus clair, mais le ciel était invisible, la couche de brume semblait créer un couvercle hermétique qui nous emprisonnait dans ce gouffre à l’atmosphère si maléfique.

Partout, il y avait des sortes de gros rochers qui semblaient être des maisons, les trous constituant des entrées. Toutes étaient très hautes et comprenaient de nombreux étages auxquels on accédait par des ponts en cordes et en bois qui traversaient le gouffre de part en part, montant, descendant, se croisant.

Par endroits, il y en avait certains plus grands que d’autres, ils devaient probablement arriver jusqu’au niveau du sol de la forêt.

Les Clordes étaient là en nombre impressionnant, elles sortaient sans cesse de leurs maisons, empruntant les chemins aériens, entrant dans d’autres maisons.

Elles avaient des activités particulières, et il y avait des sortes de grosses cuves arrondies en métal noir qui émettaient des lumières de couleurs différentes, très claires, qui ressemblaient à du feu. D’autres faisaient apparaître des sortes de fils blancs et épais qu’elles enroulaient au sol pour créer des sortes de stalactites dont certains atteignaient finalement quelques mètres de haut.

J’étais resté ainsi pendant quelques minutes à les observer, me reculant contre la paroi du gouffre pour ne pas me faire repérer.

Je pouvais apercevoir où s’était arrêtée la charrette de l’Inquisiteur, et celui-ci était descendu, avec Cunégonde et ses filles qui étaient toutes les quatre en sanglots, terrifiées par ce qu’elles voyaient autour d’elles.

L’Inquisiteur s’adressait à l’aide de sa baguette magique à une Clorde qui n’était pas comme les autres et qui semblait être une sorte de chef. Elle était plus petite, de couleur beaucoup plus sombre et rouge, des yeux qui tombaient quasiment de la tête. Les lambeaux de tissu qu’elle portait étaient d’une couleur dorée.

Je pus voir que les Clordes avaient en fait une large bouche. Celle-ci s’ouvrait lorsqu’elles penchaient leur tête en arrière, laissant apparaître un trou béant, comme si leur tête était tranchée.

Plusieurs autres Clordes s’étaient rassemblées pour les observer, comme si le fait de sacrifier un sorcier était un évènement important.

Finalement, je m’approchai, profitant des stalactites qu’avaient fait apparaître les Clordes pour me cacher. Je pus attirer l’attention de Cunégonde qui comprit que j’étais là.

Je savais que j’avais réussi puisqu’elle avait soudain eu l’air profondément soulagée. Elle devait certainement s’inquiéter de mon absence.

Je restais caché encore longtemps, l’Inquisiteur et le chef des Clordes discutaient encore. Mais vint le moment fatidique, l’Inquisiteur devait repartir, avec Cunégonde et les deux autres filles qui ne seraient pas sacrifiées.

La petite Eléonore ne comprenait pas que sa mère la laisse, et elle ne savait pas que j’allais la sauver. La scène était déchirante, mais il le fallait car cela me permettrait de pouvoir vaincre les Clordes.

Cunégonde ne voulait pas laisser Eléonore pleurer, elle ne voulait pas que sa fille croie qu’elle l’abandonnait au milieu de ces créatures qui allaient la sacrifier, c’était ce qui était le plus difficile, et ce qui était le plus naturel de la part d’une mère.

 


Chapitre cinquante-neuf

Comment les Clordes anéantissent le chevalier Théodore

 

Finalement, alors que Cunégonde était contrainte de quitter le gouffre, deux Clordes emportèrent Eléonore dans l’autre direction, et je décidai de les suivre, adressant un message de soutien que je chuchotai à l’oreille de Cunégonde lorsque je passais à côté d’elle.

Eléonore fut emmenée dans l’une des maisons, près du centre du gouffre. Il y avait là-bas une sorte de grande place, c’était l’endroit où les Clordes se concentraient le plus, et je ne pouvais pas m’y rendre sans risquer d’en toucher une.

Je ne voulais pour l’instant pas prendre de risques, préférant observer sagement, pour être plus efficace en temps voulu.

Je me résolus donc à rester près de l’endroit où était gardée la petite Eléonore, afin de ne pas risquer de la perdre au cas où elle serait changée d’endroit.

Je l’entendais pleurer, mais en revanche les Clordes semblaient sourdes, elles ne semblaient même pas communiquer entre elles, c’était comme si elles étaient programmées pour effectuer une tâche au sein de leur communauté.

J’avais du mal à savoir à quoi servaient les activités dont j’ai parlé plus haut, et pourtant, je les voyais souvent faire. Certaines avaient presque terminé de construire leurs stalactites, alors que d’autres commençaient.

Mais je finis cependant par comprendre. Alors que j’étais appuyé sur l’un de ces stalactites, l’un des plus gros qu’il y avait afin de pouvoir me cacher, je le sentis bouger. Je m’écartai ainsi brusquement, manquant de peu de me faire repérer. Après une demi-heure, une ouverture était apparue dans celui-ci et une Clorde en était sortie, enduite d’une sorte de liquide gluant de couleur vert pâle, dégageant une odeur encore plus épouvantable.

C’était ainsi que les Clordes se reproduisaient, et ce qui était le plus inquiétant, c’est que finalement, elles se reproduisaient souvent, elles passaient en effet la plus grande partie de leur temps à construire les maisons de leur progéniture.

Mais heureusement, leurs morts fréquentes semblaient compenser ces naissances. Il arrivait fréquemment en effet d’en voir exploser une, sans aucun signe précurseur. Elles ne devenaient plus qu’un petit nuage de fumée qui allait s’ajouter à celui présent dans le ciel.

Alors que l’activité semblait diminuer pour une raison que je ne comprenais pas, je pus enfin quitter mon refuge et aller sur cette grande place centrale.

Le sol en était couvert d’une épaisse couche de poussière qui semblait s’être accumulée là depuis des siècles. J’avais peur de me faire repérer en la soulevant alors je marchais doucement, sans faire de remous. Au loin, je pouvais toujours entendre les pleurs si attristants d’Eléonore.

Tout autour de la place, il y avait des sortes de pierres tombales, sans prendre la peine de les compter, je constatai qu’il y en avait une cinquantaine environ, toutes identiques, en une sorte de pierre terne.

Je lisais les noms, qui y étaient gravés, et bizarrement, je voyais parfois les noms de grands mages noirs que je connaissais ou qui avaient existé dans le passé : « L’Etrangleur », « le Mage Al Halladj », « Héribald la Terreur », « le Prince des Ténèbres », et bien sûr « Le Chevalier de l’Ombre » que j’avais vaincu moi-même.

Je continuai de parcourir les tombes, prenant garde aux quelques Clordes qui passaient encore par là. J’en voyais d’autres qui ne me disaient rien : « Kristerval », « Grindelwald », « le Seigneur des Ténèbres », « la Fleur du Mal », « le Roi Atomiseur de Boudons », « Keelan le Maître ».

Je supposais ainsi que c’étaient des mages noirs très anciens, et que les Clordes avaient dérobé leurs dépouilles pour les placer ici, afin probablement de les honorer, ou peut-être de se donner un aspect maléfique.

Je ne restai pas plus longtemps ici et je continuai ma route pour explorer le gouffre, bien qu’épuisé. Je n’avais effectivement pas dormi la nuit dernière, et je devrais à nouveau probablement ne pas dormir la nuit suivante, à moins que je ne décide de m’attaquer aux Clordes dès ce soir, ce qui me semblait pour le moment risqué, ne connaissant rien de leurs pouvoirs.

Il me restait du temps avant le sacrifice d’Eléonore puisque la nuit n’avait pas encore commencé à tomber. Cela me laisserait encore une nuit complète pour agir. Je continuai donc mon exploration en faisant un tour complet du gouffre. Celui-ci devait faire environ cinq kilomètres de tour, et partout, il n’y avait que ces maisons qui finissaient par s’empiler les unes sur les autres, formant des étages et parfois des galeries.

Le tout était extraordinairement triste, l’endroit semblait être la désolation totale, il n’y avait aucune forme de vie hormis ces créatures si répugnantes. Tout n’était que minéral.

Cependant, la période de calme pendant laquelle je n’avais vu pratiquement aucune Clorde se terminait. Elles ressortaient toutes une par une de leurs maisons, et elles s’étaient toutes mises à porter des capes rouges qui traînaient sur le sol, ne laissant sortir que leur horrible tête de ces capes.

Je retournai en vitesse voir si ils n’allaient pas sacrifier Eléonore maintenant, je savais que ce n’était pas possible mais je préférais m’en assurer quand même.

La seule partie de la légende que l’on pouvait considérer comme fiable était en effet le sacrifice d’un sorcier qui se déroulait à l’aube après chaque nuit de pleine lune, et la nuit de la pleine lune n’était pas encore passée, elle n’avait à vrai dire même pas commencé.

J’avais raison, ils n’avaient pour l’instant toujours pas touché à Eléonore qui était toujours enfermée dans la même maison, gardée par des Clordes. Elle ne pleurait plus et je pouvais voir par l’ouverture qu’elle semblait inanimée, mais je savais qu’elle n’était pas morte car le sacrifice n’aurait plus eu aucune valeur si ils prenaient une jeune fille déjà morte.

C’est alors que je me posais la question suivante : pourquoi les Clordes voudraient-elles faire un sacrifice ? Croyaient-elles en une divinité à qui elles devaient faire des offrandes ? C’était difficilement imaginable de la part de telles créatures. Elles semblaient n’avoir qu’une âme souillée au point d’être pire que les plus sombres mages noirs.

Je ne pourrai probablement pas avoir de réponse, car il m’aurait fallu les interroger pour leur demander, et à part leur chef, elles semblaient incapables de communiquer avec qui que ce soit, et, encore plus étonnant, comme je l’avais déjà dit, je ne les avais pas une seule fois vues s’échanger le moindre signe, qui aurait pu traduire une communication la plus élémentaire fut elle.

Alors que la nuit tombait, une troupe de Clordes s’approcha de la place centrale, que je ne pouvais maintenant plus traverser sans accrocher une de ces créatures.

J’avais en fait escaladé l’une de ces maisons, me trouvant un point de vue large, et j’étais certain en m’étant perché à cet endroit que je ne risquerais pas de toucher malencontreusement  l’une des créatures.

Les Clordes avaient laissé un large espace au centre de la place, et toutes s’étaient mises en cercle, occupant tout le tour de la place ainsi que les allées qui y concourraient. Le reste du gouffre était désert, il était clair que l’évènement qui allait se dérouler serait très important.

Les Clordes attendirent ainsi sans bouger pendant plusieurs heures qui me semblèrent durer une éternité. La nuit était maintenant profonde, et le gouffre était très sombre, ils n’était éclairé que par de nombreuses torches placées sur les parois du gouffre, mais qui n’émettaient qu’une faible lumière d’ambiance.

Enfin, après de longs moments d’attente, et pour une raison que je ne pouvais pas voir d’où j’étais, les Clordes s’étaient soudain reculées et avaient laissé la place entièrement vide, n’occupant plus que les allées convergentes.

En fait, quelque chose bougeait, c’était l’une des tombes. Je décidai alors d’utiliser un enchantement qui me permettrait de voir au loin, que j’avais utilisé déjà à maintes reprises pour mesurer le danger avant de l’affronter, c’était une des techniques qui faisait que j’étais invincible. Car non seulement mes pouvoirs étaient extraordinairement développés, mais mon intelligence supérieure et ma vivacité me permettaient toujours de trouver la bonne façon d’agir.

Je voulais savoir le nom qu’il y avait sur cette tombe, supposant qu’ils allaient enterrer un autre mage noir.

J’avais du mal à distinguer les lettres mais je pus cependant lire « Kristerval », un nom que j’avais déjà remarqué tout à l’heure, et qui ne m’évoquait rien bien que ce fusse moi qui avait vaincu tous les mages noirs qui avaient osé se présenter au monde ces derniers temps.

En fait, je dus me rendre à l’évidence que l’on n’allait pas enterrer quelqu’un, bien au contraire. Il était clair que l’on était en train d’exhumer un corps. La tombe continuait de s’ouvrir, et une grande ombre représentait une forme humaine en sortit.

Elle se déplaça lentement et alla se placer au centre de la pièce, on aurait dit que les Clordes retenaient leur souffle. Toutes attendaient avec impatience quelque chose. Je m’attendais à ce que l’ombre fasse quelque chose, mais ce n’était pas la bonne piste.

Soudain, un faisceau de lumière éblouissant partit du sol et éclaira les vapeurs qui étaient au sommet du gouffre, provenant de la gauche du gouffre.

Toutes les Clordes qui étaient autour de l’endroit d’où était parti se faisceau se poussèrent, créant un cercle et chemin entre la place centrale et ce cercle.

Je remarquai alors que le faisceau provenait d’une Clorde qui était restée au centre de l’endroit qui venait de se dégager.

Lentement, elle se déplaça jusqu’à la place centrale, les autres Clordes l’observant avec admiration.

Une fois qu’elle fut arrivée sur la place centrale, elle se plaça face à l’ombre.

Ils se rapprochèrent lentement et se mirent à tourbillonner l’un autour de l’autre, à une vitesse folle, telle une gigantesque tornade.

On sentait un suspens inouï, la tension semblait énorme, c’était comme si un évènement historique allait se produire, je ne comprenais pas d’ailleurs pourquoi.

Et puis les deux fusionnèrent, cette Clorde qui semblait s’être soudain révélée, et cette ombre qui était sortie de la tombe d’un certain Kristerval.

Il y eut un grand bruit, une sorte de déflagration mêlée à un sifflement très aigu qui envoya un autre faisceau beaucoup plus puissant que le précédent. Les vapeurs présentes dans le ciel se dégagèrent soudain, laissant apparaître le ciel étoilé, et le sol trembla, si bien que je faillis être éjecté du stalactite auquel je me cramponnais. Heureusement, mes réflexes étaient toujours aussi vifs malgré la fatigue de plus en plus prenante.

Mais il en avait résulté simplement qu’un bébé se trouvait au centre de la pièce, et  il s’était mis à pleurer.

Une autre Clorde se démarqua des rangs et s’approcha de lui, c’était la plus petite, celle qui me semblait être le chef.

Elle le ramassa et fit apparaître une stèle au centre de la place. Elle y attacha le bébé, avec des cordes magiques. Celui-ci pleurait de plus en plus fort.

Enfin, des flammes s’allumèrent tout autour de la place, et les Clordes s’écartèrent, ne laissant que le bébé et la stèle au centre de la place.

De mon côté, je luttai pour ne pas m’endormir, la scène était certes passionnante, et personne avant moi n’avait pu assister à ce genre d’évènements.

Mais je me devais de rester éveillé et d’attendre. Durant toute la nuit, les Clordes regardèrent le bébé qui était accroché à la stèle, les flammes brûlant toujours de plus belle. C’était comme si un être surnaturel était apparu devant elles, elles semblaient le vénérer, et aucune d’elles ne bougeait.

Le ciel s’était déjà un peu éclairci, mais pourtant, personne ne semblait s’occuper d’Eléonore qui n’avait pas bougé de la maison où elle était enfermée, toutes les Clordes étaient toujours absorbées par l’évènement.

Soudain, les flammes s’intensifièrent, j’essayais de regarder ce bébé, j’arrivais à en distinguer les détails, il semblait pourtant normal, sauf que ses yeux étaient rouges. Il s’était calmé et observait les alentours avec un regard cruel.

C’est alors que je compris, un nouveau mage noir était né, c’était Kristerval, tout comme les précédents avaient dû naître ici de la même manière. C’étaient donc les Clordes qui fabriquaient les mages noirs !

Tout me semblait soudain plus clair, les tombes n’étaient pas des tombes, elles ne contenaient que les âmes des mages noirs avant leur naissance, c’était ces nuages noirs. Et leurs corps provenaient d’une Clorde au hasard.

Et les deux fusionnaient dans une cérémonie qui se passait la nuit de la pleine lune, pour former le corps muni de l’âme du mage noir. C’était donc à cause d’elles qu’il y avait tant de problèmes parmi les sorciers, et cette lâcheté d’Inquisiteur leur obéissait, conduisant à la propre destruction de la communauté magique. J’étais révolté, comment avait-il pu laisser faire cela !

A mon retour, je me devais de le châtier pour le punir de tout ce qu’il avait infligé aux sorciers et aux Boudons.

Je ne savais pas cependant comme le bébé allait finir dans la famille où il était censé naître, car les mages noirs naissaient toujours dans des familles de sorciers normaux, parfois respectables. Et une Clorde qui aurait voulu aller le placer dans une famille se serait immanquablement faite remarquer.

Je fus cependant tiré de ma réflexion par de nouveaux pleurs.

Horreur ! Deux Clordes emmenaient Eléonore qui hurlait. Pourquoi n’y avais-je pas fait attention ?

 Je sautai de la maison, enlevant mon enchantement d’invisibilité, et je fonçai pour la libérer, poussant au passage toutes les Clordes qui furent renversées, ne s’attendant pas à voir un humain surgir au cours d’une cérémonie d’une telle importance.

Quand j’arrivai au centre, il était trop tard, Eléonore avait été jetée au milieu des flammes, je pouvais distinguer son corps qui était en train de s’enflammer.

Un grand brasier s’était allumé, couvrant toute la place centrale et la chaleur fut la seule chose qui put m’empêcher de me jeter dans le feu pour aller la récupérer..

J’envoyais de l’eau sur le feu pour l’éteindre, mais les flammes semblaient éternelles, le feu allait d’ailleurs presque jusqu’au sommet du gouffre, et pour la première fois de ma vie, je me sentais impuissant face à un obstacle.

Je continuais d’essayer tous les sortilèges et les enchantements que je connaissais, mais rien n’y faisait. Et de toutes façons il était trop tard, Eléonore avait certainement déjà succombé.

C’est alors que les Clordes me remarquèrent, mais je ne réagis pas immédiatement, trop éprouvé, trop rongé par les remords.

Je regrettai de ne pas avoir libéré Eléonore avant, je n’aurais pas dû tomber dans le piège de la curiosité, je n’aurais pas dû vouloir savoir le pourquoi des choses, j’aurais dû tout simplement éliminer ces Clordes.

Peu importait que ce Kristerval vînt de naître devant moi, mes pouvoirs immenses m’auraient permis de m’en débarrasser par la suite, comme je m’étais débarrassé des précédents mages noirs.

Mais je ne pourrais maintenant plus revenir en arrière pour sauver Eléonore. J’hésitai alors quant à la réaction à avoir.

Je savais que je serais déchu de mon titre de chevalier pour n’avoir pas tenu ma promesse, et je le méritai largement, je n’avais plus qu’à m’exiler, si Cunégonde avait la gentillesse de bien vouloirs m’épargner le bûcher.

Mais d’abord, il me fallait au moins vaincre ces Clordes, pour sauver un minimum mon honneur que j’avais perdu en quelques instants.

Moi qui avait accompli tant d’actes respectables, qui avait sauvé tant d’opprimés, qui avait combattu tant de brigands et de mages noirs cruels !

Ce ne serait pas choses facile que de les éliminer, elles semblaient très en colère et l’atmosphère s’était soudain réchauffée, je pouvais sentir leur force et leur colère.

Pour ma survie, je me devais de réagir maintenant. C’est pourquoi, je brandis ma baguette magique et j’envoyai un maléfice de mort à la Clorde la plus proche de moi, espérant que cela pourrait réussir.

L’éclair vert la toucha et elle tomba sur le coup, je sentais la force revenir en moi, je savais que mon courage et ma détermination me permettraient de ressortir vainqueur de cette lutte.

Mais c’était une erreur d’avoir attaqué de la sorte, je recevais déjà des maléfices mortels provenant de toutes parts. Heureusement, j’utilisai un bouclier de mon invention qui me permit de résister aisément.

Je me réfugiai ainsi dans la maison la plus proche pour reprendre mon souffle et afin de pouvoir rédiger ce passage de mes aventures.

J’avais quelques minutes avec moi, les Clordes semblaient attaquer le mur de la maison, mais il pourrait résister longtemps. J’avais bloqué l’entrée avec un sortilège et je réglais ma Plume à Papote pour qu’elle puisse décrire le combat à ma place, obéissant à ce qu’elle entendrait, et à ce que je lui dirai, une fois que je l’aurais replacée dans mon bissac.

Je savais en effet que cette bataille deviendrait historique et que les gens de mon époque et du futur voudraient en connaître tous les détails et par quels moyens le grand Théodore l’Ame Perdue les avait vaincu les créatures que tout le monde avait craint, et que personne n’aurait osé contrarier, pour se venger de ce qu’elles avaient fait subir à une pauvre jeune fille innocente.

Mais soudain, la maison venait de disparaître au-dessus de moi et je ne perdis pas de temps pour envoyer mon maléfice de Transpersion sur autant de Clordes que je le pouvais, sachant qu’elles avaient osé me prendre par la surprise.

Mon adresse exceptionnelle me permit d’en toucher un bon nombre à la tête.

A chaque fois, les Clordes succombaient grâce à l’efficacité et à la parfaite maîtrise de mon sortilège.

Puis je créai un bouclier pour me protéger, il me fallait pouvoir lutter, leur nombre ne serait pas un problème pour moi, tant que je combattrai avec la même efficacité.

Elles avaient beau m’envoyer autant d’attaques qu’elles voulaient, dont certaines avaient l’air très puissantes, mais je les repoussai toutes immanquablement.

Mais soudain, elles semblèrent cesser de vouloir me combattre, puis elles s’écartèrent, laissant la place à la même Clorde qui avait parlé avec l’Inquisiteur.

-          Que voulez-vous ? me demanda-t-elle d’une voix étouffée, qui alternaient entre des sons très aigus et très graves.

-          Je viens libérer Eléonore et vous faire disparaître à tout jamais ! répondis-je avec courage.

-          Qui vous a appris notre existence ? demanda la Clorde qui n’avait pas l’air de vouloir engager une conversation polie, ce qui aurait été la moindre des choses face un personnage aussi respecté que moi. Aucun de mes adversaires ne s’était jusques là avisé de ne pas s’incliner avant de m’affronter.

-          Personne, j’ai suivi le convoi tout à l’heure et si vous croyez que votre Kristerval va pouvoir me vaincre, répondis-je, ayant décidé de ne pas être aimable puisqu’elles avaient décidé d’être impolies.

-          Kristerval règnera pendant de longues années…

-          Je suis Théodore l’Ame Perdue et personne d’autre que moi ne peut régner ! m’exclamai-je.

La Clorde ne sembla pas connaître mon nom et je ne pus cette fois pas compter sur un effet de surprise en ma faveur.

Cependant je ne fus pas décontenancé.

-          Vous n’êtes que de lâches créatures idiotes, et vous ne serez rien sous les coups de ma baguette !

-          Qui que vous soyez, rien ne peut contrer les plans des Clordes ! martela-t-elle. Et vous serez sacrifié pour avoir osé nous déranger pendant notre cérémonie. Brûlons-le !

La Clorde émit un grand cri aigu, comme pour répéter dans sa langue les mots « brûlons-le ! ». Mais je n’avais pas peur, convaincu que je gagnerai ce combat singulier avec facilité, puisque je réussissais déjà à vaincre plusieurs Clordes en même temps.

Et ce n’était pas parce que cette Clorde était le chef qu’elle semblait plus forte que les autres. Au contraire, elle semblait beaucoup plus faible que les autres.

Mais les autres Clordes lui répondirent par de mêmes cris aigus et je fus soudain soulevé dans les airs, au-dessus de la foule des Clordes, ne pouvant pas engager le combat auquel j’aurais voulu me livrer.

C’était un peu comme si on m’acclamait sauf que cette fois on voulait m’emmener de force au bûcher.

Je tentais de résister et je continuai d’envoyer mes maléfices de Transpersion qui étaient si efficaces. Les têtes des Clordes explosaient les unes après les autres, laissant à chaque fois s’échapper un nuage de fumée noire maléfique, qui me laissait penser que quiconque serait mort en l’ayant respiré.

Les flammes dans la place centrale s’étaient éteintes et je vis une silhouette noire qui l’avait quittée, elle se dirigeait vers la sortie du gouffre, en planant, j’aurais voulu l’en empêcher, mais je ne pouvais pas, j’étais comme soumis à un champ magnétique qui me maintenant en lévitation au-dessus de la foule des Clordes.

Je savais que cette silhouette n’était autre que l’âme de Kristerval qui s’en allait pour posséder le corps d’un innocent bébé qui deviendrait finalement un mage noir. J’étais certain qu’en réalité le sacrifice d’Eléonore lui avait permis de se renforcer, et que même si le corps du bébé qui était apparu semblait avoir brûlé avec les flammes, il en était ressorti un mage accompli.

Ainsi, j’avais réponse à l’une de mes interrogations. Ce n’étaient pas les Clordes qui apportaient l’enfant mage noire dans une famille, c’était simplement son âme qui s’en allait posséder un bébé, probablement le premier bébé qu’elle trouverait sur son chemin.

Le corps d’Eléonore avait entièrement disparu, il n’en restait même pas une cendre que j’aurais pu ramener une fois que j’aurais vaincu les Clordes, et j’étais rongé par la honte car elle n’aurait même pas eu une sépulture par ma faute.

Une Clorde était en train d’allumer un feu, c’était le moment de réagir, dans un ultime sursaut, j’arrivais à donner un coup de pied dans la tête de la Clorde en dessous de moi.

Celle-ci trébucha, et elle en entraîna plusieurs autres dans sa chute, j’étais enfin libéré de cette force qui me soulevait et je pouvais à nouveau courir, n’hésitant pas à marcher sur les Clordes renversées.

Je me reculai pour me mettre à nouveau en position de force.

Je décochai un maléfice de Transpersion en plein dans la tête du chef des Clordes, pensant qu’ainsi, les autres Clordes me respecteraient, et me prendraient à ma juste valeur.

Celui-ci mourut sur le champ, il s’effondra, libérant une énorme flaque de sang violet.

Mais la réaction des Clordes fut terrible, et totalement opposée à celle que je pensais. Elles s’étaient soudain mises dans une colère terrible et je sentis mon corps se décomposer, dans une douleur horrible, alors qu’une sorte de gros éclair noir fusait sur moi, il provenait de la masse des Clordes.

J’étais mort, mon corps était en lambeaux qui avaient été projetés partout, alors que le souffle avait projeté mon bissac, mes vêtements et mon squelette au dehors du gouffre, alors que mon âme était emprisonnée à jamais dans ce gouffre, tout comme l’était celle de la petite Eléonore.

Mais les Clordes n’étaient pas vaincues, et un nouveau chef se désigna, alors que le mage Kristerval sévissait.

Seule avec ses deux autres filles, Cunégonde pleurait la perte de sa fille, elle n’avait pas pu faire confiance à ce chevalier qui lui avait pourtant promis son aide.


 

 

Note de l’éditeur au lecteur 

 

Dans le récit original, on trouve le nom de Théodore l’Ame Perdue, cependant, personne n’a été capable de justifier le choix de ce nom, alors qu’il ne savait pas encore ce qui allait lui arriver, et que de surcroît, à aucun moment du récit il ne le justifie, fait rare dans les romans de chevalerie, où les chevaliers ont une certaine fierté à porter leur surnom.

Mais en général, la véracité des faits présentés dans ce roman reste floue, Buccelin l’anonyme, auteur de la préface, prétend pourtant avoir connu ce personnage, mais rien ne nous dit qu’il n’a pas inventé cette histoire, tout en restant anonyme et en utilisant quelques faits historiques, pour éviter la censure de son époque. La vive dénonciation de l’Inquisition qui est faite tout au long de cet ouvrage aurait en effet pu être sanctionnée comme l’a été une multitude d’autres à cette époque. Le fait que tout cela ne soit que pure invention pourrait ainsi concorder avec le nom du personnage, que l’auteur aurait choisi et inventé, en rapport avec la fin de l’histoire qu’il avait prévue.

Quant à l’existence du chevalier Théodore, personne d’autre que lui ne l’a prouvée.

Et la légende des Clordes garde ainsi tout son mystère. Car si l’auteur décrit avec un réalisme impressionnant ce qu’il y voit – et il est d’ailleurs le seul à proposer autant de détails sur cette légende –, encore une fois rien n’a été prouvé, et le gouffre des Clordes n’a jamais été retrouvé.

Enfin, l’allusion au Seigneur des Ténèbres qui est faite au chapitre dernier ne semble rien prouver, en effet, de nombreux mages noirs ont pris le nom de Seigneur des Ténèbres au cours de l’histoire de la communauté magique. Quelques autres mages noirs cités ont en effet existé, mais il n’est nulle part ailleurs question de l’existence des autres, qui semblent avoir été inventés par l’auteur, à moins que tout cela soit vrai… on laissera ainsi au lecteur tirer les conclusions qui lui semblent les plus logiques.

 

 

 

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